L'ERBA Histoire de la seigneurie abbatiale de la vallée du Trient, Salvan, Finhaut, Vernayaz Des origines jusqu’en 1349
Les habitants de cette région n'ont marqué le temps d'aucune empreinte particulière, ni vu naître de grands génies, savants, hommes de guerre remarquables, princes ou autres notables. Etre des gens ordinaires, n'est-ce pas un mérite? Confrontée à la difficulté de survivre, la population devait arracher un peu de fertilité sur des pentes escarpées. Les rigueurs de l'hiver, l'éloignement, l'isolement causé par les avalanches rendaient difficile la lutte constante pour l'herbe.
Jusqu'au milieu du XXe siècle, ces éleveurs et cultivateurs, très rarement aidés par des bêtes de somme, sont restés fidèles aux méthodes agricoles ancestrales, travaillant sans charrue, tirant eux-mêmes les luges à foin et à bois. Le respect et l'affection portés à ces hommes sont d'autant plus grands.
«Parmi les meilleurs et les plus passionnés des généalogistes, quelques-uns se tournent un jour vers l'érudition locale, mettant leur compétence paléographique et leur connaissance des archives au service de l'histoire du village où leur famille a planté ses racines. Jamais, ou presque, ils ne remontent en deçà de l'époque moderne, à cause des difficultés propres aux documents médiévaux, dont la plus évidente est qu'ils sont écrits en latin. Raymond Lonfat, lui, a franchi la barre du XVIe siècle et s'est plongé dans le fonds médiéval prodigieusement riche de l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune, dont il est devenu de la sorte un des meilleurs connaisseurs…
Le premier volume de son ouvrage se conforme aux canons de l'histoire locale, c'est-à-dire qu'il procède village par village, accordant une grande attention à la première apparition documentaire de chacun d'eux, tâchant de retrouver l'origine étymologique de leur nom, cherchant à localiser les édifices disparus et les limites médiévales, par le double moyen du travail d'archives et des recherches sur le terrain…
Remarquable est dans cet ouvrage l'absence de ces catégories abstraites que sont les seigneurs et les paysans, les élites et les marginaux, les riches et les pauvres, etc., et dont les historiens professionnels les moins talentueux – il y en a – font parfois un usage abusif. Ce livre, en effet, fait revivre non des catégories ou des classes, mais des hommes, et son auteur illustre ainsi le mot de Marc Bloch, maître incontesté des études d'histoire sociale du Moyen Âge, pour qui l'historien, comme l'ogre, se nourrit de chair humaine. Par son pointillisme même, cette étude rencontre toute la complexité de la société médiévale, qui est irréductible à des catégories simplistes…
Le deuxième volume est consacré à l'histoire des familles entre les premières décennies du XIIIe siècle et la grande peste (1349). Cette période est d'un intérêt considérable car elles correspond, dans les Alpes du nord, à ce que le médiéviste français Robert Fossier a appelé la «naissance du village». Par cette expression il ne faut pas entendre l'apparition des premiers villages alpins – qui datent, comme ceux des plaines, du néolithique – mais la naissance de nos villages, ceux que nous connaissons encore aujourd'hui, avec leur église, leur cimetière, leur terroir, et leurs limites que les paroisses ont léguées aux communes…
Moyennant l'usage fréquent des adverbes «probablement» ou «vraisemblablement», Raymond Lonfat aboutit à une reconstitution convaincante…
… un pareil essai de généalogie paysanne pour les XIIIe et XIVe siècles n'a pas, à ma connaissance, d'équivalent en langue française, ni pour le Valais, ni pour les Alpes médiévales.»
Nicolas Carrier
Maître de conférences en histoire médiévale, Université Lyon 3
Continuer ces gestes, ce rituel nécessaire pour survivre grâce à l'herbe gagnée sur un sol difficile: nettoyer les prés, étaler les taupinières en remontant la terre, redessiner les ruisseaux d'arrosage, puis faucher au petit jour foins ou regains, sortir la pierre du covet, aiguiser la faux ou la taper sur l'intsaple, étendre le foin, le tourner vers midi, observer le ciel et décider: «Faut-il le mettre en valamonts, en rouleaux ou en tas?», préparer les voyages et les porter sur le dos avec le paillet à la grange de la Cotze ou à celle de la Léchère – l'odeur âcre de la transpiration accumulée sur le tour de tête du paillet –, redescendre l'herbage du mayen en hiver sur les luges par le ban de la Grosse Larze sous la surveillance de papa.
Le nom de Salvan figure dans certaines copies de cet acte de donation, rappelons-le, sans doute un faux. Dans une version antérieure à 1018, l'essentiel des possessions temporelles de l'abbé est mentionné, sauf Salvan. Sa faible population et sa situation géographique auraient pu justifier l'absence d'intérêt à signaler ce lieu, même s'il faisait déjà partie des terres de l'abbé. Après 1018, une version datant peut-être de la fin du XIe siècle nomme Ottans, Ottanel et Salvan: Actanna, Octunellum, Silvanum et encore, sous une autre forme: Actannis, ActunellumcumSilvano. A-t-elle un lien avec l'usurpation de Salvan et d'Ottanel par la famille d'Allinges, qui aurait pu se situer vers 1070 ? L'Abbaye plus tard se défendra et affirmera qu'elle avait reçu ces terres vers 830, au moment du remplacement des moines par les chanoines.
Probablement nommé Pierre, l'ancêtre des de Finhaut, un de Salvan né vers 1160, a un fils, Jean de Salvan, né vers 1185. Jean a quatre enfants connus: Pierre le Vieux, Pierre le Jeune, Philippe et Guillaumette de Salvan. Philippe est père de trois enfants dont Martin. Le 7 octobre 1261, Martin de Salvan apparaît pour la première fois dans l'histoire. Suite à son déménagement, il sera appelé de Finhaut. Auparavant, Martin exerçait la profession de meunier. L'acte de 1277 marque la fondation d'une petite communauté au Léamont. Pour échapper à de terribles luttes familiales, Martin et sa famille y trouvent refuge. Son père Philippe possédait déjà ce mayen sur lequel étaient construits quelques fenils et une maison. Martin aura de nombreux enfants: Jacques, Guillaume, Hugues, Jean, Martin junior, Pierre, Raymond, Jacquemette et Johannette. Ce nom de famille disparaît de la vallée du Trient vers 1400. Les de Finhaut sont à l'origine des Hugon qui apparaissent avant 1350; des Petri – Pierroz mentionnés dès la fin du XIVe siècle; de deux familles issues des Hugon, les Lugon-Moulin notés au début du XVIe siècle, suivis par les Lugon vers la fin du XVIe siècle.
C'est le 15 novembre 1300 que Vernayaz est cité pour la première fois lors d'une transaction: Johannette, fille de feu Martin mugneri, vend à son cousin Pierre Philippon un pré à Ottanel au lieu-dit Verneya, à côté des prés de Pierre Postolen, des Magnoz et des enfants de Pierre de Salvan le Jeune, tous de Salvan. D'autres actes permettent d'affirmer que le centre de Vernayaz était le même que celui d'aujourd'hui. Les terres s'étendaient alors jusqu'aux environs des Condémines, pour descendre le long du nouveau cours du Trient. Un «sommet» de Vernayaz est signalé, endroit actuellement appelé lesSondzons. Les tenures sont la plupart du temps non loin du nouveau cours du Trient. Aucun toponyme n'est alors relevé à l'intérieur de cette zone. Dès cette époque, ce territoire géré par le sacristain de l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune sera régulièrement mentionné dans la documentation, souvent sous le nom de (en) Vernea ou Verneaz. Plusieurs siècles s'écouleront encore avant que les consorts d'Ottanel soient progressivement appelés consorts de Vernayaz. En effet, le nom d'Ottanel tombera lentement dans l'oubli pour être supplanté par celui de Vernayaz lorsque, suite à la maîtrise des eaux, le nouvel espace cultivé deviendra plus conséquent.
La première partie de ce mot, Mares, est largement utilisée dans la vallée du Trient, notamment à Salvan et à Finhaut. Le nom des Marécottes désigne un terrain marécageux, spongieux, imbibé d'eau. En patois, il se dit: é Markòtè, li Marcottes. Le francique *marisk, «marais», qui a donné le latin tardif mariscum puis l'ancien français maresc, «marais, pré marécageux», avec le suffixe diminutif ?ot (fém. ?otte) issu du latin –ottum est à l'origine de ce toponyme.
«Sachent tous ceux qui liront cet acte, que le seigneur Nantelme, abbé de la sainte église d'Agaune, avec la volonté et le consentement de tout son chapitre, a donné en fief à Pierre le Jeune, métral de Salvan, l'alpe de Barberine, exception faite de la redevance en fromages. Fait en l'an de l'Incarnation du Seigneur, au début du mois d'août 1242. Le sceau du chapitre d'Agaune est apposé à cet acte pour lui donner plus de force».
Initialement appelé Checinayriz, Sasse Noire, cet alpage perché sur les immenses falaises surplombant Sixt jouit d'une situation particulière. Entièrement sur le territoire de l'abbé de Sixt, il n'est pas accessible pour le bétail de cette communauté suite à l'effondrement sous l'alpage d'une barre rocheuse très escarpée. L'accès à Tenneverge est en revanche toujours possible depuis Emosson. Les Salvanins exploitent forcément cette extraordinaire surface herbeuse, ainsi que Prajon, un balcon au-dessus du vallon. Certains membres de la famille des de Salvan, par exemple Guillaume Postolen mentionné à laVella peu après 1300, tiennent des parts d'alpage bien définies à Tenneverge. Le 23 juillet 1364, l'abbé de Sixt Jacques de Filinges (1348-1364) exempte Hugues, fils dudit Guillaume, du contrat de location fait par les communiers de Salvan pour des terres exploitées précédemment par son père. En 1339, un document signé par Jean de Petra, accompagné d'une lettre de l'abbé de Saint-Maurice destinée à Uldric, abbé de Sixt, mentionne un «abbergement de Tenneverge aux frontières du Valey, moyennant quatre sols Genevois». Ce consortage important regroupe les hommes de tous les hameaux de la communauté, et sera actif jusqu'au XXe siècle.
Le 8 juin 1288, du consentement des moines et du curé du lieu, «pour le plus grand avantage des habitants de Vallorcine», Richard de Vilette fait reconstruire à neuf l'église sous le vocable de Notre-Dame. Il précise alors que le territoire de la paroisse – qui est le même que celui du fief abergé – s'étend à partir de l'entrée du lieu qui s'appelle li Montet (le col des Montets), jusqu'à la forêt du lieu-dit Jours (les Jeurs de Trient) ... au-delà des terres de l'église de Vallorcine. Ces limites confirment l'interprétation précédente. Dans la topographie, l'absence d'éléments émergeants, roches, torrents ou châbles distinctifs, entre Balme et Le Châtelard, rend la démarcation difficile. La frontière est une ligne virtuelle, sans point de repère. En 1737 seulement, les limites définitives entre la vallée de Chamonix et le Valais seront abornées.
" ... L'abbé au contraire disait que si l'on avait retrouvé Jean tué par certains hommes de l'abbé de Finhaut et de Salvan, ceci avait été permis aux meurtriers tant par les coutumes que par le droit, puisque le même Jean li Maczola avait défié sans raison l'abbé et en particulier ses hommes de Finhaut et de Salvan et qu'il les avait menacés publiquement d'incendies et d'homicides et d'autres dommages sur des personnes et biens, ainsi que l'abbé était disposé à le prouver par des documents légitimes. Ainsi, comme après le défi et les menaces, Jean fut trouvé dans le domaine de l'abbé alors qu'en cachette il commettait un acte nuisible, il put être tué impunément par ceux qu'il tentait d'offenser puisqu'il ne pouvait pas autrement être détenu commodément. Pour cette raison, le même abbé disait qu'il ne fallait procéder à aucune compensation et que les meurtriers ne devaient nullement être punis... "
Le conflit s'inscrit dans la politique régionale de l'époque. 1323 est une année de trêve momentanée dans les guerres infinies qui opposent les Genève aux Savoie. Peu d'éléments retrouvés dans la documentation corroborent la version des faits, rapportée par la tradition. Le damoiseau Mermet de Thoire, ce Faucigneran vassal du comte de Genève, occupe la fonction de métral dès 1322 pour tout le mandement de Charousse. Bien que personnage central dans cette affaire des montagnes, Mermet n'a rien à voir avec l'accord de 1307 qui tente d'apaiser les esprits suite à des revendications sur l'alpage d'Emosson. Lorsqu'il voit ses bêtes – ou celles de ses administrés – séquestrées, il organise l'expédition punitive de 1323 et engage de nombreux hommes, nobles et roturiers, tant du mandement de Charousse que des châtellenies voisines de Saint-Michel-du-Lac et de Montjoie. L'opération est-elle commanditée par le comte de Genève? Pour entrer dans la «vallée de Salvan», les Faucignerans choisissent certainement le chemin le plus accessible. Quelques damoiseaux font peut-être une partie du trajet sur leurs montures. Il est difficile de les imaginer passant par le col des Corbeaux et le Vieux Emosson. Le col de Suzanfe est bien l'accès le plus approprié. «(…) Mermet avec une grande foule a pénétré Salanfe et Clusanfe et la vallée de Salvan pour y apporter des dommages» rapporte une reconnaissance, confirmant ainsi cette version.
Les Granges, vers les Granges: cf. «De Grangiis, 1316». Les Archiers, li Archis?: lieu-dit non identifié. Le Chabloz de la Fontanassiz: châble au-dessus de laFontanasse des Granges. Cf. «La Grande Reconnaissance de 1324». Le Chamoa dou Pra, le Tsamo deu Pro: lieu-dit proche des Granges ou du Bioley. Le Champ du Rutil: lieu-dit proche des Granges ou du Bioley. En Chanon, Chanoes, ou Chanon des Chanoes: lieu-dit proche des Granges ou du Bioley. Ou Chipi: le Tsepi, lieu-dit aux Granges. Ou Coudre: lieu-dit non identifié. En Combala: la Comballaz, lieu-dit derrière leCrètéduSèré, au-dessous du Fieu, à l'entrée des Granges. La Combe des Granges: grande combe au-dessous du village des Granges.
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